L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.
Aujourd’hui on parle des enjeux internationaux autour de l’euro ? Pourquoi son élargissement reste un acte politique fort ?
L’euro n’est pas seulement une devise utilisée par 350 millions d’Européens, c’est aussi un outil de puissance, de souveraineté et même de rivalité géopolitique. A l’heure où la Bulgarie se prépare à rejoindre la zone euro en 2026, on ne parle pas seulement de billets et de taux d’intérêt. On parle aussi d’influence, de stabilité, et de rapport de force avec d’autres puissances comme les États-Unis ou la Russie.
Pourquoi l’entrée de la Bulgarie dans la zone euro est aussi stratégique ?
Elle l’est à plusieurs niveaux. D’abord pour l’UE, c’est une avancée symbolique : malgré les crises successives – pandémie, guerre en Ukraine, inflation – l’euro continue de s’élargir. C’est la preuve que la monnaie reste attractive.
Mais au-delà, c’est un signal politique fort dans une région encore instable, proche de la Russie. La Bulgarie, pays historiquement proche de Moscou, envoie un message : elle choisit l’ancrage européen, elle tourne le dos à l’influence russe.
Et justement, sur place, la population n’est pas unanime ?
Exactement. Un sondage montre que la moitié des Bulgares sont contre l’euro. Et ce rejet est alimenté par des campagnes de désinformation, souvent orchestrées par des partis prorusses comme Renaissance, ou relayées sur les réseaux sociaux.
Donc l’enjeu est double : l’élargissement de l’euro, c’est un bras de fer entre deux récits politiques. L’un qui voit l’euro comme un outil de stabilité et d’intégration, l’autre qui le dénonce comme une perte de souveraineté, voire comme un outil de domination occidentale.
Et sur le plan international ? Qu’est-ce que l’élargissement de l’euro change pour les grandes puissances ?
C’est là que ça devient intéressant. Car derrière l’euro, il y a aussi une bataille monétaire mondiale. Aujourd’hui, la monnaie dominante, c’est le dollar américain. Près de 60 % des réserves de change mondiales sont libellées en dollars. L’euro arrive en deuxième position, mais loin derrière.
Chaque nouveau pays qui adopte l’euro, c’est un petit coup porté à cette domination du dollar. C’est une manière pour l’UE de peser davantage dans le commerce international, les négociations et les sanctions financières… Et à terme, de réduire sa dépendance aux États-Unis, par exemple pour acheter du pétrole, ou commercer avec l’Afrique ou l’Asie.
Et les autres pays de l’UE qui n’ont pas encore l’euro comptent s’y mettre ?
C’est très politique. Il y a six pays qui ne l’ont pas adopté : la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie, la Suède, et le Danemark. Et c’est souvent moins une question économique qu’un choix d’identité politique.
Certains gouvernements veulent garder le contrôle sur leur monnaie, comme un symbole de souveraineté nationale. D’autres, comme la Hongrie, utilisent le refus de l’euro pour marquer leur distance avec Bruxelles. Et dans un monde fracturé par la guerre en Ukraine, les choix monétaires deviennent aussi des déclarations d’alignement ou de résistance.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.