L'Europe vue de Bruges

OLAF et le Parquet européen ou EPPO

© European Union, 2025, CC BY 4.0 OLAF et le Parquet européen ou EPPO
© European Union, 2025, CC BY 4.0

Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Jacques Delors (2024-2025), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.

Charline dos Reis Barreira est franco-portugaise, elle est étudiante et représentante du département de sciences politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe (promotion Jacques Delors). Avant cela, elle a effectué une licence en droit français et espagnol à Nanterre Université en France, suivie d'un double master en droit pénal européen et droit international pénal au sein de l’UPPA et de l’UB. C’est lors d’un cours à l’UPPA qu’elle a découvert le Parquet européen et, avec lui, l’envie de consacrer sa carrière à la protection des intérêts financiers de l’UE. Son mémoire au Collège d’Europe explore la coopération entre l’OLAF et l’EPPO, et ses perspectives professionnelles prennent forme dans la bonne direction.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu’est l’OLAF et le Parquet européen ou EPPO ?

Bien sûr. L’OLAF, l’Office européen de lutte antifraude, est une agence de l’Union européenne créée pour enquêter sur les fraudes affectant le budget européen. Il mène des enquêtes administratives, mais n’a aucun pouvoir de poursuite judiciaire et constitue un DG de la Commission européenne. En revanche, le Parquet européen créé en 2020, est une autorité judiciaire indépendante dotée de pouvoirs de poursuite pénale dans les États membres participants sous la coopération renforcée. Il peut engager des enquêtes criminelles et poursuivre les auteurs de fraudes graves concernant uniquement les intérêts financiers de l'UE. J’ai choisi d’étudier leur coopération marquée par des tensions précisément parce-qu’elle est cruciale dans la protection des intérêts financiers de l’UE.

Quels sont les principaux points de friction entre l’OLAF et le Parquet européen ?

Les frictions entre l’OLAF et l’EPPO résultent principalement du chevauchement de leurs compétences et de l’ascension de l’EPPO comme acteur clé de l’architecture antifraude de l’UE. Plutôt que de faciliter leur coopération, cette dynamique a suscité des tensions : l’OLAF, craignant de perdre en visibilité et en influence, privilégie les enquêtes complémentaires au Parquet qui lui permettent de conserver un rôle actif et des résultats personnels. En conséquence, les enquêtes de soutien à l’EPPO sont souvent négligées, ce qui nuit à la coordination entre les deux entités.

Pourquoi l’OLAF perçoit-il l’EPPO comme un concurrent plutôt que comme un partenaire?

L’OLAF perçoit l’EPPO comme un concurrent en raison de la visibilité accrue dont bénéficie ce dernier grâce à ses pouvoirs de poursuite judiciaire. Tandis que l’OLAF se limite à formuler des recommandations administratives, l’EPPO peut engager des poursuites pénales, attirant ainsi l’attention médiatique et politique. Cette dynamique crée un sentiment de perte de centralité pour l’OLAF, qui craint de voir son rôle historique dans la lutte contre la fraude progressivement érodé. Mon analyse montre que cette crainte de marginalisation pousse l’OLAF à un moment décisif de son existence, en quête de son identité au sein de l’architecture antifraude de l’UE, surtout avec l’émergence de la nouvelle agence AMLA.

Quelles sont les conséquences concrètes de cette rivalité sur la lutte contre la fraude au sein de l’UE ?

La rivalité entre l’OLAF et l’EPPO a plusieurs conséquences négatives. D’abord, elle entraîne des duplications d’enquêtes, où les deux institutions travaillent séparément sur les mêmes cas, gaspillant des ressources précieuses. Ensuite, le manque de coordination et de confiance mutuelle complique l’échange d’informations, ce qui ralentit les enquêtes. Enfin, cette concurrence institutionnelle détourne l’objectif central de ces deux organes qui est la protection des intérêts financiers de l’UE. Ces dysfonctionnements affaiblissent l’efficacité globale de l’architecture antifraude de l’Union européenne.

Dans votre mémoire, vous parlez de “stratégie de visibilité” de l’OLAF. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

La “stratégie de visibilité” de l’OLAF consiste à privilégier les enquêtes complémentaires, qu’il mène seul, parallèlement aux poursuites pénales de l’EPPO. Cette stratégie est renforcée par les marges d’interprétation des règlements. Ainsi, en produisant davantage de résultats, l’OLAF cherche à prouver qu’il reste un acteur indispensable de la lutte contre la fraude, malgré la montée en puissance de l’EPPO. Ce besoin de visibilité découle de sa crainte de devenir un simple auxiliaire, ce qui affaiblirait son image et pourrait à terme menacer son existence même.

Vous proposez des solutions pour améliorer cette coopération. Pouvez-vous nous les résumer ?

Absolument. Tout d’abord, il est essentiel de clarifier les compétences de l’OLAF et de l’EPPO pour éviter les chevauchements et les conflits de mandat. Ensuite, clarifier leur législation afin qu’il existe une amlitude d’interprétation moins grande. J’ai remarqué aussi que parfois les deux agents ont une compréhension de l’autre qui est assez divergente de leu rôle réel, il serait donc intéressant que les deux agences échangent et communiquent davantage sur leur missions. Enfin, repositionner l’OLAF comme un partenaire stratégique est essentiel, il faudrait exploiter son expertise en enquêtes administratives. Enfin, l’OLAF a un atout majeur, il est acteur dans le processus de l’élaboration des politiques antifraudes, en tant que DG à part entière de la Commission européenne, il est indispensable pour permettre à tous les agents de l’architecture antifraude de bénéficier d’un meilleur cadre politique et législatif dans la protection des intérêts financier de l’UE.

Pour conclure, comment l’Union européenne peut-elle s’assurer que la coopération entre l’OLAF et l’EPPO ne soit pas seulement efficace, mais aussi visible et compréhensible pour les citoyens ?

L’UE doit avant tout renforcer la transparence et la coordination entre l’OLAF et l’EPPO. Cela signifie clarifier leurs rôles respectifs, limiter les chevauchements et veiller à ce que les deux agences partagent efficacement leurs informations. Mais surtout, il est crucial que les citoyens voient les résultats concrets de cette coopération : des fraudes détectées, des fonds récupérés et des sanctions appliquées. En renforçant l’accès des citoyens à ces informations, l’UE pourrait non seulement mieux protéger ses finances, mais aussi restaurer la confiance de ses citoyens.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.