Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur l'actualité bruxelloise et européenne.
Alors Fanny, dites-moi : quoi de neuf en Europe ?
Alors cette semaine pour changer, l’Europe parle immigration. Jeudi dernier, la Première ministre italienne d’extrême-droite Giorgia Meloni et son homologue socialiste danoise Mette Frederiksen ont uni leur voix pour appeler à une réinterprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Peut-être un rapide rappel pour nos auditeurs, qu’est-ce donc que cette convention ?
Bien sûr ! Alors la Convention européenne des droits de l’Homme est un traité international entré en vigueur en 1953 qui protège les droits de l’Homme et les libertés fondamentales au sein du Conseil de l’Europe. Ce texte est juridiquement contraignant et la Cour européenne des droits de l’Homme contrôle son application. En cas de non-respect de ces droits, un État peut être sanctionné.
Et en quoi serait-ce lié à l’immigration ?
C’est-à-dire qu’au fil des évolutions de la jurisprudence de la Cour, celle-ci a élargi son approche pour étendre la protection des droits garantis, notamment en affirmant des droits négatifs, c’est-à-dire protecteurs contre des violations. On peut mentionner les garanties procédurales contre les expulsions d’étrangers en situation régulière, l’interdiction de l’expulsion des nationaux et des expulsions collectives des étrangers. Ou encore des droits positifs comme le droit au regroupement familial dérivé du droit au respect de la vie privée et familiale.
Si je comprends bien, les droits reconnus par la CEDH protègent les migrants, en tout cas bien plus que Giorgia Meloni et Mette Frederiksen ne le souhaiteraient ?
Exactement. Avec sept autres pays européens, ces deux chefs d’Etat ont signé une lettre ouverte visant à « repenser la manière dont la CEDH est interprétée », notamment pour en restreindre la portée en matière d’immigration. Parmi les signataires, on compte également les dirigeants de l’Autriche, de la Belgique, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne et de la République tchèque.
Et quelles sont leurs revendications principales ?
Ces États revendiquent tous leur droit à « disposer d’une plus grande marge de manœuvre au niveau national pour décider quand expulser des ressortissants étrangers criminels ». En somme, la CEDH les dérange dans leurs tentatives de durcir la politique migratoire européenne. Ils souhaitent notamment la délocalisation de centres d’accueil de demandeurs d’asile. En somme, déléguer le sale boulot. On se souvient du tollé provoqué par une délocalisation similaire au Rwanda par le Royaume-Uni.
Et qu’a répondu la Cour face à ces accusations ?
Ce samedi, le secrétaire général du Conseil de l’Europe a réaffirmé le rôle protecteur de l’organisation pour « garder la Convention solide et pertinente » et a fermement rejeté tout affaiblissement des droits garantis par ce traité. Il a également rappelé avec force le célèbre principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu : « Dans un État de droit, la justice ne doit pas être soumise à des pressions politiques (…) La Cour ne doit pas servir d’arme ni contre les gouvernements ni par eux. »
Une position somme toute rassurante, n’est-ce pas ?
Effectivement. Néanmoins, un devoir de vigilance s’impose face à des attaques contre l’État de droit qui tendent à se multiplier. Alors que l’immigration illégale vers l’UE a diminué de 27% en 2025 selon Frontex, la médiatisation et l’importance accordée à l’enjeu sécuritaire dans le débat public ne fait que croître.
En témoigne l’annonce d’un durcissement des contrôles aux frontières en Allemagne, ou encore la récente proposition de la Commission européenne de revoir la définition « d’État tiers sûr » afin de faciliter le renvoi des migrants vers des pays de transit ou des centres dans des pays tiers. Car quoi qu’on en dise, l’immigration relève du « Not in my backyard ».
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Photo sous licence CC-BY-NC-SA 3.0 IT