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Aujourd’hui nous allons parler de la décision récente de l’agence de notation Moody's qui a rétrogradé la note de crédit des États-Unis. Pourriez-vous expliquer ce que cela signifie concrètement pour un non-spécialiste ?
Bien sûr. Revenons d’abord sur le rôle des agences de notation, dont les plus connues s’appellent Standard & Poors, Fitch et Moody’s. Ces agences accordent des notes, sous formes de lettres, à des émetteurs obligataires qui représentent, selon les experts de ces agences, la solidité financière d’un emprunteur, qui peut être une entreprise, une banque ou encore un pays. Plus la note est basse, et plus l’investisseur qui prête de l’argent à cet emprunteur est à risque de ne pas se faire rembourser.
Moody’s avait accordé la notre de “Triple A” aux États-Unis. Elle vient de la baisser à “Double A 1”. Qu’est que cela signifie ?
C’est l’équivalent d’une note qui passe de 20 / 20, c’est-à-dire la meilleure note possible, à un 18 / 20. Autrement dit, Moody's considère désormais le risque de défaut des États-Unis comme légèrement plus élevé qu'auparavant. Concrètement, cela reflète des inquiétudes sur la capacité du gouvernement américain à maîtriser sa dette, qui atteint 36 000 milliards de dollars. Or cela n’est pas sans conséquences puisque si la solvabilité d’un État est perçue comme étant moins fiable, il est normal que ses prêteurs exigent des taux d’intérêt plus élevés, afin d’être compensés pour un risque plus élevé d’un éventuel défaut de l’emprunteur.
Quelles sont les implications pour le marché des Treasuries américains ?
La rétrogradation a immédiatement fait grimper les rendements des obligations d’État, notamment celui du Treasury 30 ans, qui a atteint 5,04 %, un niveau inédit depuis fin 2023. Quand les rendements montent, cela indique que les investisseurs demandent une meilleure rémunération pour détenir de la dette américaine. Or les US Treasuries servent de référence pour toute l’économie américaine. Cela se répercute sur les coûts d’emprunt sur les crédits immobiliers, les prêts aux entreprises ou les cartes de crédit. De plus, le poids de la dette s’est alourdit et le Trésor américain devra émettre davantage d’obligations ne serais-ce que pour payer les intérêts, désormais plus élevés, sur sa dette. Une sorte de spirale infernale.
Pourquoi cette décision est-elle importante pour les investisseurs mondiaux ?
Les Treasuries sont la référence mondiale en matière de placements sans risques et liquides. C’est un actif classé parmi les valeurs refuges. Des dizaines de banques centrales pays, de très nombreux fonds de pensions et d’investisseurs institutionnels les détiennent comme réserve de valeur. Si leur fiabilité est questionnée, cela pourrait ébranler la confiance dans le système financier international. De plus, le dollar reste la monnaie de réserve mondiale, mais des doutes persistants sur la gestion de la dette américaine pourraient inciter certains investisseurs à diversifier leurs actifs, vers l’or ou d’autres devises. Cela crée de la volatilité et des doutes, sur une classe d’actif dont la détention est très répandue dans le monde.
Les États-Unis ont-ils encore des atouts malgré cette dégradation ? Doit-on craindre une crise sur ce marché de référence ?
Ne cédons pas trop vite à la panique. L’économie américaine reste la plus importante et innovante au monde, et le dollar domine les échanges internationaux. Moody's souligne d’ailleurs ces atouts. La note de 18/20 reste excellente, et ses consoeurs S&P et Fitch avaient déjà dégradé leurs notes sur les USA il y a des années, sans que cela n’ait changé véritablement la donne. Soyons honnêtes, il n’y a pas d’alternative au marché des Treasuries au regard de son volume. Mais le danger réside dans l’accumulation de déficits et la polarisation politique. Si les taux restent élevés, le service de la dette — les intérêts à payer — pourrait atteindre 30 % des recettes fédérales d’ici 2035, contre 9 % aujourd’hui.
En conclusion, que retenir de cette décision ?
C’est un signal d’alarme. Les investisseurs, rassurés par le statut de « valeur refuge » des Treasuries, pourraient devenir plus exigeants. Cela rappelle aussi que même une économie dominante n’est pas à l’abri d’un retour de bâton des marchés si elle néglige sa discipline budgétaire. Pour les ménages, cela pourrait se traduire par un renchérissement des crédits. Pour le monde, c’est un rappel que la stabilité financière globale dépend aussi des choix américains.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.