L'éco, du concept au concret

La Crise démographique

© Généré par ChatGPT La Crise démographique
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La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Ces derniers mois, le concept de vieillissement démographique a fait son chemin dans le débat public, en France, en Europe, voire plus généralement dans le monde.

Arnaud, vous êtes doctorant en sciences économiques au sein de la faculté de Strasbourg, et aujourd’hui, vous allez aborder avec nous cette question, et comme vous le ferez du point de vue économique !

Bonjour Laurence,

Effectivement, j’aimerais vous parler de la question du vieillissement démographique, et celle, reliée, de crise démographique parce-que le traitement de cette question dans l’espace public et par les femmes et hommes politiques se trouve être relativement frustrante. En France ou ailleurs.

D’un point de vue sociétal et politique, on se demande comment on va pouvoir adapter les infrastructures, ou quelles seront les conséquences électorales et démocratiques.

Mais du point de vue économique, les propos qu’on entend le plus c’est ; il faut « réarmer démographiquement le pays, sinon l’économie du pays va mourir ». Au moins, ça a le mérite d’être clair !

Vous soulignez que l’idée de « réarmement démographique » est très présente, presque martelée, dans le débat public, mais est-ce qu’une population jeune et nombreuse, c’est toujours un atout ?

Du point de vue historique, une forte population a souvent été corrélé avec une forme de puissance (économique ou non). C’est notamment la puissance démographique française qui permet au pays de tenir tête au reste de l’Europe après la Révolution.

C’est notamment, aussi, la relative jeunesse de la population turque et son explosion démographique au sortir de la Seconde Guerre Mondiale qui va lui permettre de connaître une forte croissance économique.

Si on met de côté la sombre prophétie de Malthus, celle qui souligne que la population croit de façon géométrique alors que le rendement des cultures ne croît que de façon arithmétique, une forte population, jeune, est toujours positif dans l’esprit des gens et d’un pays.

Pour prendre le point de vue opposé, est-ce qu’il existe des cas où un accroissement démographique porte préjudice ?

En Afrique ça a été le cas, oui.

Lorsque les institutions d’un pays n’arrivent pas à suivre, par exemple sanitairement, en facilitant l’accès à l’eau potable ou à l’électricité, la croissance démographique devient un fardeau.

D’autant que la croissance économique induite par une croissance démographique dépend de la capacité d’un pays à créer des entreprises et embaucher sa population. On le voit en Chine, où une part importante de ses jeunes actifs se trouve au chômage. Si on n’est pas capable d’offrir du travail aux nouveaux actifs, alors la croissance économique sera moindre.

On se situe là du point de vue global, mais concrètement, qu’est-ce qu’on appelle un individu « productif » en économie ?

Une personne active, par définition, c’est une personne en âge de travailler, qui a entre 15 et 64 ans.

Une personne active, c’est une personne qui produit des richesses, qui est utile à l’économie d’un pays, par opposition à une personne inactive, une personne qui serait un « poids » pour notre économie. Ou sous-entendu ici, notre système de retraite.

Là encore, je souligne le propos dans le débat public.

L’une des raisons pour laquelle cette dichotomie existe, c’est qu’il est difficile en économie de mesurer l’activité qui n’est pas reliée directement au travail en entreprise.

Pourtant, les personnes âgées jouent notamment un rôle très important dans le monde associatif. La moitié des présidents d’association en France sont des personnes retraitées, et un bénévole sur trois est à la retraite. De la même manière, ils sont un soutien aux personnes actives (en gardant les enfants, par exemple).

Donc, quand on pose l’idée d’une population qui vieillit, tout n’est pas forcément noir.

Non. Le sujet sur lequel cela pose véritablement problème, c’est effectivement le sujet des retraites. Même si ce n’est pas nouveau.

Dans les années 80, dans la plupart des pays européens, on commençait à se demander comment on allait gérer le « baby-boom », qui allait devenir un « papy-boom ». Mais le problème aurait été conjoncturel ; tant que chaque couple avait deux enfants ou plus, on aurait eu à gérer une phase passagère, avec davantage de personnes âgées, mais la situation serait revenue progressivement à la normale.

Depuis quinze ans, le problème n’est plus le même. La population étant passé sous le seuil de renouvellement des générations en Europe (ce fameux deux enfants par couple), le financement de la retraite devient un problème « structurel ».

Si les tendances actuelles persistent, cela restera difficile dans le temps de financer les retraites.

Et il existe des solutions pour ce problème.

Tout à fait. Allonger l’âge de départ à la retraite, augmenter la rémunération des travailleurs (si les travailleurs sont mieux payés, ils contribueront davantage au financement des retraites), accepter que le système de retraite devienne déficitaire et le traiter comme tel… pour n’en citer que quelques-unes.

Au final, du coup, si on met à part le financement de la retraite des personnes âgées, quel est le problème d’une population qui vieillit ?

En restant du point de vue économique, comme je le disais, une population qui vieillit est une population qui « produit » de façon différente. Ce n’est probablement pas une économie qui s’effondre, mais en tout cas une économie stationnaire, ça c’est sûr.

On ne se pose pas la question de comment gérer le vieillissement démographique dans le débat public. On se pose la question de comment l’éviter.

Et on peut l’éviter, temporairement, grâce à la migration économique par exemple, ou via des politiques de natalité (bien que ces dernières ne fonctionnent pas très bien).

Mais ce n’est pas une question coréenne, ou chinoise, ou même européenne. C’est un sujet mondial.

Donc un problème qui demandera forcément de nouvelles réflexions.

Réflexions qui sont déjà posées en économie ; le concept de croissance zéro existe depuis les années 70 avec le rapport Meadows, lorsqu’il était souligné que pour éviter un effondrement des écosystèmes et le réchauffement climatique, il fallait revoir nos méthodes de production.

Le vieillissement démographique va nous obliger à remettre en question certains des fondements économiques de notre société. Comme la nécessité de consommer toujours davantage, voire même la tendance récente à créer de nouveaux besoins.
Parce-que si ce vieillissement perdure, on ne pourra plus continuer à prôner une croissance infinie.

Ralentir la croissance ne sera plus souhaitable, mais inévitable. Mais ce n’est pas le sujet dans le débat public. Le sujet c’est « le réarmement démographique ». On a encore du chemin à faire !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.